Titre : Contes à guérir, contes à grandir
Auteur : Jacques Salomé
Editeur : Albin Michel
Les contes ont ceci de particulier qu'ils s'adressent directement à notre inconscient, à travers des histoires très simples mais chargées de symboles. D'une certaine façon les contes ressemblent aux rêves.
Chaque conte, sous forme de métaphore, a pour mission de "guérir un symptôme, de modifier ou de transformer une relation vécue comme insatisfaisante ou douloureuse, de restaurer des liens conflictuels, de provoquer un changement dans un mode de vie, et le plus souvent dans une façon d'être". Ils suscitent un éveil, une prise de conscience…
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Le conte des maux de tête :
"Dans ce pays-là, que je connais bien pour l'avoir visité, tous les enfants naissaient avec une graine d'amour, qui ne pouvait germer que dans leur cœur.
Ce qu'il faut savoir, c'est que cette graine avait une particularité… très originale, en ce sens qu'elle était constituée de deux moitiés de graines. Une moitié de graine d'amour pour soi et une moitié de graine d'amour pour autrui.
Vous allez tout de suite me dire : "Ce n'est pas juste, c'est disproportionné, ça ne peut pas marcher ! Une moitié pour un, d'accord, car il faut s'aimer. Mais une seule moitié de graine d'amour pour autrui, pour tous les autres, ah non alors ! Cela va bien au début de la vie, quand un enfant n'a pas beaucoup de personnes à aimer, seulement sa mère, son père, un ou deux grands-parents… Mais plus tard, vous y pensez, plus tard, quand devenu adulte chacun est susceptible d'aimer beaucoup de personnes, cela est déséquilibré. Une seule moitié de graine d'amour à partager entre tant d'amours… Cela est invivable !".
Oui, vous me diriez tout cela avec passion, mais c'était ainsi dans ce pays ! Et d'ailleurs, ceux qui savaient laisser germer et laisser fleurir chacune de leurs moitiés de graine d'amour, avec intensité, avec passion, avec enthousiasme et respect, ceux-là découvraient plus tard qu'ils pouvaient à la fois s'aimer et aimer, aimer et être aimés.
Ceux qui ne développaient qu'une moitié de graine, soit en s'aimant trop, soit en n'aimant que les autres, soit encore en n'aimant qu'une seule personne au monde, ceux-là avaient des mi-graines qui durcissaient, qui durcissaient tellement leur cœur… que parfois leur tête éclatait de douleur.
Ah ! Vivre seulement avec une mi-graine d'amour, cela doit être terrible ! D'autant plus qu'il n'y a aucun remède à ces migraines et qu'elles sont susceptibles de durer des années.
Ainsi se termine le conte des maux de tête qui sont surtout des maux de cœur."
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LE CONTE DU PETIT HÉRISSON QUI NE PIQUAIT PAS DE L'INTÉRIEUR
Il était une fois un jeune hérisson pour qui la vie avait été difficile jusque là. La seule chose pour laquelle il semblait vraiment doué, c'était de se mettre en boule… De nombreuses attaques lui avaient appris à se protéger et il savait se faire tout rond plus vite que n'importe quel hérisson. A force de se faire agresser, il avait d'ailleurs fini par croire que tout le monde lui en voulait. Bien des êtres avaient essayé de s'en approcher et s'en étaient retournés tout meurtris. C'est qu'en plus, il avait aiguisé chacun de ses piquants et prenait même plaisir à attaquer le premier. Sans doute se sentait-il plus important ainsi…
..........Avec le temps, il était devenu très solitaire. Les autres se méfiaient de lui. Alors il se contentait de rêver à une vie meilleure ailleurs, ne sachant plus comment s'y prendre pour sortir de cette situation d'agression permanente.
..........Un jour qu'il se promenait toujours seul, non loin d'une habitation, il entendit une étrange conversation entre deux garçonnets.
- " Tu sais , sur le dos il y a plein de piquants, mais mon père dit que le ventre est aussi doux que Caramel, tu sais, ma peluche préférée, disait le plus petit.
- J'aimerais bien voir ça ! - Moi, je sais où il se cache, dit l'autre, sous ces haies. "
.........." Tiens, se demanda notre ami à quatre pattes , ne seraient-ils pas en train de parler de moi ? "
Ces paroles avaient excité sa curiosité. Était-il possible qu'il soit fait d'autre chose que des piquants ?
..........Il se cacha dans un coin et regarda son ventre. Il lui sembla faire ce mouvement pour la première fois. Il avait passé tellement de temps à s'occuper des petites épées sur son dos qu'il en avait oublié cette fourrure douce et chaude qui le tapissait en dessous.
.........." Mais oui, moi aussi je suis doux en dedans, constata-t-il avec étonnement. Doux dedans, doudedan, doudedan " chantonnait-il en sautillant d'une patte sur l'autre. Celles-ci le faisaient rebondir . Tiens, il avait aussi oublié le plaisir de danser. Car les hérissons dansent les soirs de lune, le saviez-vous ?
Tout en dansant, il s'était rapproché des deux garçons. Le plus grand disait à l'autre :
- " Les renards font pipi dessus pour les obliger à s'ouvrir. On pourrait bien en faire autant, comme ça on verrait… - Ah non ! dit le plus jeune. Je ne veux pas leur faire de mal. Ils sont très gentils. Il faut en apprivoiser un en lui apportant tous les jours un œuf. Les hérissons adorent les œufs.
- D'accord, mais il faut d'abord en trouver un ! dit son compagnon. "
..........Le petit animal tendait l'oreille. Cette histoire commençait à beaucoup l'intéresser. Comment ? il existait quelqu'un qui ne lui voulait pas de mal !
..........Après bien des péripéties que je vous laisse imaginer, et aussi des doutes, des hésitations, des peurs et des envies de fuir, notre ami Doudedan, c'est ainsi qu'il s'appelle lui-même, accepta de se laisser apprivoiser.
Il passa de moins en moins de temps en boule. Chaque jour il s'exerçait à montrer sa fourrure. Du coup elle devenait de plus en plus douce et soyeuse. Et ses piquants à force d'être délaissés finirent par s'émousser et devinrent de moins en moins piquants.
..........Ah ! Que c'était bon d'avoir des amis… et aussi de se sentir si doux.
..........A force d'apprendre à être doux, il avait même fini par rencontrer une compagne qui elle aussi avait un ventre très, très doux… et devinez ce qui arriva ?…